Histoire

1891, création d’une compétition internationale

En 1891, le Yacht Club de France a déjà vingt-quatre ans, il est temps que de promoteur de la plaisance française il devienne initiateur de compétitions internationales. Si certains rêvent de défis à l’échelle de la Coupe de l’America, pas un seul yachtsman n’envisage la construction d’un voilier de régate français de plus de 85 pieds (25,91 mètres) à la flottaison, limite minimale pour y participer. Or les « grands » voiliers de régate français sont plus proches de la moitié de cette taille.

L’année précédente, quelques membres de la Société maritime du Yacht Club de France ont décidé de se regrouper pour chercher le moyen d’encourager le développement de la construction française de voiliers de régate. En effet, la renommée de certains architectes et chantiers britanniques est telle que les yachtsmen français les plus susceptibles de commander de nouveaux yachts s’adressent le plus souvent à eux. Pour qu’ils fassent appel à nos architectes, il faudrait que cela devienne obligatoire dans le règlement des courses. En cela, le Deed of Gift de la Coupe de l’America peut servir de modèle pour une compétition internationale où l’architecte et le constructeur sont de la même nationalité que le voilier. Une première réunion a lieu le 14 novembre, dans les bureaux du journal Le Yacht, sous la présidence du vice-amiral Miot. 

L’association prend le nom de «Comité du Yacht Français », précisant bien dans son appellation sa détermination à promouvoir notre yachting national. On y compte quelques membres du YCF susceptibles de commander des yachts importants, comme A. Demay, Marcel Houssay, le comte de Polignac, le comte de Guébriant, Gaston Menier, Georges Gallice ou Eugène Pérignon. Constitué définitivement le 23 décembre, le Comité désigne une commission permanente chargée d’étudier les moyens d’atteindre le but recherché, à savoir « favoriser en France le développement de la construction des yachts et les mettre en état de lutter avec ceux de l’étranger ». Cette commission, présidée par Félix Faure, député et président de la Société des Régates du Havre, prend, le 24 mars 1891, la décision de créer la Coupe de France, challenge international qui doit se courir sous la formule de jauge de l’Union des Sociétés nautiques, en vigueur au Yacht Club de France. Les yachts de toute nationalité sont admis à courir, à condition qu’ils soient construits dans le pays dont ils battent pavillon, et conçus par un architecte de ce pays, sans restriction sur l’origine du constructeur ou des matériaux employés. Cette décision désavantage les yachts français existants, car elle exclut les yachts achetés à l’étranger et francisés, mais elle est indispensable au but recherché par le Comité. En ce qui concerne la taille des voiliers, la limite inférieure est fixée à 5 tonneaux, car il est souhaitable que les voiliers puissent se rendre d’eux-mêmes sur les lieux des compétitions. Quant à la limite supérieure, la commission reconnaît que « pour la Coupe de l’America, le tonnage peut dépasser les 100 tx. Chez nous, il n’est pas à espérer que, dans l’état actuel de notre yachting, on puisse mettre en chantier un yacht de course supérieur à 20 tx, avec quelque chance de succès ». Sur la question de la nationalité des équipages, sujet largement discuté aujourd’hui pour les compétitions internationales, seule la France est obligée de courir avec un équipage français, alors que rien n’est précisé pour les challengers étrangers. 

En voulant promouvoir notre plaisance, le Comité décide que les épreuves auront lieu dans les eaux françaises; si cela est justifié pour le premier défi et tant que le vainqueur reste français, il est peu probable que le trophée attire un étranger qui n’aurait aucune chance de défendre la Coupe dans ses eaux. Par prudence, le règlement stipule que les challengers s’engagent à « n’avoir recours à la juridiction des tribunaux pour aucune contestation», sage précaution qui évitera maints déboires au cours de l’histoire de cette Coupe de France. Les compétitions sont définies ainsi : trois manches, sur un parcours d’au moins 20 milles, à la vitesse moyenne minimale de 3 nœuds, sinon la régate est annulée. Il est bien précisé que le Comité n’est pas une société de régate et qu’il délèguera la direction des courses à une société nautique. Enfin, il est prévu pour 1891 de sélectionner le yacht français qui défendra la Coupe, et les défis sont ouverts pour 1892, à condition qu’ils soient lancés avant le 1er avril de l’année. Accessoirement, le Comité, ou son successeur, se réserve le droit de modifier les conditions de courses avant le 1er février de chaque année.​

Le baron Arthur de Rothschild finance le trophée de la Coupe de France

Quelques jours plus tard, le baron Arthur de Rothschild met à la disposition du Comité du Yacht Français la somme de 6000 francs (soit l’équivalent aujourd’hui de 25 000 euros) pour financer le trophée de la Coupe de France. À peine le Comité a-t-il créé la Coupe de France que l’Union des Yachts Français est fondée. C’est cette nouvelle structure qui, se substituant au Comité en février 1892, assurera le programme et le règlement de la Coupe.

Entre-temps, les épreuves de sélection du voilier français sont courues du 6 au 8 septembre 1891 à Brest, où Luciole, à M. E.Richard, un 20 tonneaux conçu et construit par Abel Le Marchand au Havre, et mis à l’eau au mois de mai précédent, s’impose devant Saint-Yves, un 9,9 tonneaux à M. Pilon et Marguerite, un dériveur de 16 tonneaux à M. Normand.

En prévision des prochaines compétitions, le baron Edouard de Rothschild met en chantier un 18 tonneaux au chantier Luce au Petit-Gennevilliers, sur des plans de C. M. Chevreux. La mise à l’eau de Bettina a lieu en juin 1892, mais aucun défi étranger n’est parvenu à l’Union. Trois ans plus tard, à Brest, Bettina, skippé par le britannique Tom Diaper, célèbre maître d’équipage outre Manche, l’emporte dans la sélection française contre Luciole II, 9,9 tonneaux, et Joyeuse, 19 tonneaux, deux bulb-keel récents. Une réduction de la Coupe de France est offerte au vainqueur. Cette récompense deviendra courante, et il existe aujourd’hui un certain nombre de petites coupes, souvent marquées au nom du propriétaire gagnant.​

Afin de rendre la Coupe plus attractive, le Conseil de l’Union modifie le règlement en stipulant que les compétitions auront lieu dans le pays du vainqueur, à moins de 200 milles de nos frontières. Le Royal Thames Yacht Club réagit en lançant un défi début 1896 pour le mois de septembre, délai trop court car la règle stipule qu’un défi est pour l’année suivante. En mai 1897, celui du Royal Temple Yacht Club est accepté, et se court à Cannes en mars 1898, entre Estérel, un plan Chevreux construit par Abel Le Marchand pour le compte d’un syndicat présidé par Henri Menier, et Gloria, un 52 pieds de la jauge anglaise dessiné par A.E. Payne et conforme à la jauge française, appartenant à Thomas Harrison Lambert. Estérel est victime d’un bris de sous-barbe dans la première course et la Coupe part en Angleterre. Dès la fin des régates, le comte Boni de Castellane lance un défi aux Anglais et commande à Chevreux un nouveau voilier. Anna est construit à Maisons-Laffitte chez Lein, tandis que le Britannique E. Hore met un défenseur en chantier chez Summers & Payne à Southampton. À Ryde, en juillet 1899, notre champion casse sa mèche de gouvernail et le yacht rentre au port. Laurea, du Royal Temple Yacht Club, l’emporte et la Coupe reste en Angleterre. L’année suivante, en rade de Ramsgate, Laurea, impérial aux allures de près, conserve la Coupe devant Quand Même, un 20 tonneaux conçu par Joseph Guédon et construit par Bonnin à Lormont, pour le duc Decazes. Celui-ci commande immédiatement un autre challenger au même chantier, Quand Même II, qui doit être opposé à Magdalen, un 52 pieds dessiné et construit par William Fife. Or, le voilier s’avère hors jauge, légèrement au-dessus de 20 tonneaux, et son propriétaire, le baron de Forest du Royal Temple Yacht Club, est obligé d’abandonner la Coupe au duc Decazes. Une rencontre amiable a lieu à Weymouth en août 1901, mettant en évidence la supériorité du plan Fife.

Dix ans après sa création, la Coupe de France révise à la baisse la limite supérieure de la taille des concurrents. Elle se court désormais entre des 10 tonneaux, d’environ 11 mètres à la flottaison. À Marseille, en mai 1902, le duc des Abruzzes, amiral et cousin du roi d’Italie, sur Artica, conçu par les chantiers Java à Voltri, l’emporte sur Suzette, un plan Guédon à A. Douault, qui dans la première régate part trop voilé et rentre au port, puis casse un galhauban et abandonne. Suzette se distingue l’année suivante à San Remo en remportant les épreuves avec brio contre Nada, un plan Gallinari au Commandeur Flovio. En avril 1904, à Nice, le duc Decazes, qui a armé Saint-Honorat, dessiné par Godinet et construit par Abel Le Marchand à Cannes, défait Sally, construit pour le défi précédent sur les plans de L. Oneto pour le chevalier Garibaldi Colteletts. Aucun défi n’est reçu pour 1905, mais les Allemands, messieurs Busley, Carl Hagen et Felix Simon ont commandé à Max Oertz un challenger. Avec Felca, skippé par le Britannique Aldridge, ils battent devant Trouville Rose France, appartenant à Lorne C. Currie, conçu par Guédon ; la Coupe part à Kiel. Mais le député du Finistère, J. de Kerjégu, rassemble un syndicat de bretons et, avec Ar Men, conçu par Talma Bertrand, survole les éliminatoires et, face à Felca, ne laisse pas échapper la victoire. L’article concernant la nationalité de l’équipage avait été évoqué lors de la création du règlement, mais l’obligation n’avait été imposée que pour les yachts français. Or, à bord de Felca, l’équipage commandé par Aldridge est entièrement anglais. Aussi, une mention est ajoutée au règlement, et, comme la nouvelle Jauge internationale vient d’être adoptée, on choisit les 10 MJI. De plus, pour rendre les compétitions moins dépendantes d’une avarie, une troisième victoire est désormais nécessaire pour remporter le trophée​.

Le Suisse Henri Noverraz s’adjuge la Coupe par sept fois

En 1930, le Royal Thames Yacht Club présente Severn, un plan Fife à Roland B. Worth, barré par sir Ralph Gore, qui ravit la Coupe à AileVI. Severn s’avère encore imbattable en 1931, contre AileVII conçu par Camatte, en 1932 contre Hantise, également dû au crayon de Camatte, à Franck Guillet, et en 1933 contre Meli-Melo, un plan Arbaut.

Virginie Hériot décède en 1932 et laisse un vide dans la classe des 8 MJI. Il faut attendre 1936 pour un nouveau défi français. Ea II, un plan Arbaut à M.Piquerez, construit chez Despujols, échoue devant le nouveau defender britannique Severn II, barré par M. Sommers et dû au crayon d’Alfred Mylne. Un an plus tard, Philippe de Rothschild a acquis France, conçu par François Camatte et construit en 1935 au chantier Chiesa à Cannes pour Fernand Rey, et lance un défi à Felma, un plan Fife, qu’il bat en trois régates. Les Italiens relèvent un défi en 1938, ils l’emportent contre France, le dernier 8 MJI de Fernand Rey, un Camatte, avec Bona à Harold W. Rosasco, et gardent la Coupe pendant les années de guerre. Une dernière épreuve a lieu en 1949 en 8 MJI; Jacques Lebrun, sur Gaulois, dessiné par Camatte et construit en 1938 au chantier Chiesa, à Mme Léon Cotnaréanu, l’ex-épouse du parfumeur François Coty, s’empare de la Coupe en battant à Gènes Miranda III, un plan Costaguta.

Nouvelle modification du règlement de la Coupe de France, elle se court désormais en 5 M 50 et les régates sont ouvertes à plusieurs nations, à raison d’un bateau par pays. En 1953, les sélections françaises ont lieu au Havre, trois defenders s’alignent, GilliattV, à Albert Cadot, Damoiselle à Roux-Delimal et Farandole à Bernheim. À Arcachon, le Suédois Morgan Lindström l’emporte contre GilliattV, mais le Français prend sa revanche l’année suivante à Marstrand.

Entre 1955 et 1967, la Coupe passe d’un pays à l’autre, l’Italie, l’Allemagne, l’Australie et la Grande-Bretagne ; cependant le Suisse Henri Noverraz s’adjoint la victoire par sept fois, en 1955, 1957, 1958, 1960, 1961, 1963 et 1966. Entre-temps, la règle de nationalité a été modifiée : à partir de 1960, l’architecte et le constructeur ne sont plus obligés d’être du même pays que le propriétaire, et depuis 1966, chaque pays peut présenter trois voiliers. La Coupe de France s’est déjà bien éloignée de ses premiers objectifs, et les propriétaires français achètent le plus souvent leurs voiliers à l’étranger.

Après une pause entre 1968 et 1982, le voilier de prédilection devient le 6 MJI, et en 1983, Warhorse, un plan Brian Wertheimer de 1978, à Jacky Setton, barré par Michel Teweless, redonne la Coupe aux Français. Ravie par la Suisse en 1984 par Benjamin de Rothschild, elle repart en Suède en 1986 et 1988, avant d’être reprise par les Anglais en 1990. Deux ans plus tard, à Bénodet, pour le Centenaire de la Coupe de France et du Yacht Club de l’Odet, les régates se courent en flotte, avec une finale en match-racing. Douze 6 MJI, dont six classiques, sont présents. Les deux finalistes sont britanniques, et Thisbe, un plan Pelle Petterson de 1987, barré par Peter Bateman, s’impose devant Lion, un plan Stephen Jones à Tony Canning et Robert Leigh-Wood.

La Coupe reste en sommeil au Yacht Club de France jusqu’en 2003, où une refonte totale du règlement intervient. Elle devient un challenge par équipe en tournoi et se court sur trois monotypes différents, les Mumm 30, les Melges 24 et les Dragon. Neuf pays sont représentés, l’Allemagne, le Belgique, l’Estonie, la France, l’Italie, Monaco, la Norvège, la Suède et la Suisse, et les skippers ne manquent pas de pedigree, médaillés olympiques, champions du monde, skippers de la Coupe de l’America ou ténors de la course au large. Après trois jours de régates organisées par la Société Nautique de Saint-Tropez, sous la direction de son président André Beaufils, neuf manches sont disputées. Le trophée est décerné à la région Ile-de-France représentée par Jimmy Pahun en Mumm 30, Bruno Jourdren en Melges 24, et Kito de Pavant en Dragon. L’équipe de Monaco se classe seconde, avec Michel Perris sur Mumm 30, Benjamin Cohen sur Melges 24 et Christian Boilot en Dragon. Les Norvégiens s’attribuent la troisième place, avec respectivement Herman Horn Johannessen, Kristoffer Spone et Odd Roar Lofteröd.